LE BONHEUR
Le
bonheur ? Ah! La bonne heure!
Enfin
une vraie question et je vous remercie de ma la poser.
Et
ce n’est pas trop tôt !
D’ailleurs,
trop tôt c’est de très bonne heure et je ne réponds pas aux questions avant mon
réveil qui se situe toujours à l’heure
dite.
Mais
si ma façon d’aborder le sujet n’a pas l’heur de vous plaire, permettez moi, à
propos d’heure dite, de vous narrer l’anecdote suivante :
Il
m’est arrivé, récemment, de demander l’heure à un passant, ayant trop souvent
l’habitude de l’oublier.
-
Le bon ou
le mal ? me dit-il
-
Quoi, le
bon ou le mal ?
-
Ben oui,
le bon heur ou le mal heur ?
-
… ?
-
Ma
question n’a pas l’heur de vous satisfaire. Avouez que le bon heur et le mal
heur, ce n’est pas la même chose, tout de même! Alors lequel voulez-vous ?
-
Heu…je
ne sais pas vraiment. Le bon heur doit être, si je vous comprends bien, l’heur
exact, tandis que le mal heur doit retarder ou avancer ? En ce cas je
préfère le bon heur.
-
Ah !
vous êtes bien tous pareils ! Ce doit être une question de mode !
Chaque fois qu’on me demande l’heur dans la rue, les gens choisissent toujours
le bon et je me retrouve régulièrement avec mon mal heur sur les bras. Mais,
permettez-moi d’insister car le mal heur, en quantité raisonnable, ne manque
pas de charme, vous devriez essayer.
-
Je vous
remercie, mais c’est le bon heur que je vous ai demandé et si vous insistez
pour me refourguer l’autre, je vais finir par ne plus être à l’heure à mon
prochain rendez-vous !
-
En ce
cas, je m’incline. Topez là, Monsieur !
-
Comment
ça, topez là ?
-
Topez
là, vous dis-je, et au quatrième top, il sera exactement le bon heur.
En
quittant ce drôle d’ange, je sentais que l’heure présente valait tous les
bonheurs de la terre, à ceci près que « la bonne heure » au féminin semblait
me procurait plus d’émotion que « Le bonheur » au masculin.
Ce
que je pressentais depuis longtemps devint une évidence alors : Quitte à
aimer les mots, j’avais une (peu) sérieuse tendance à préférer les féminins aux
masculins, surtout quand les féminins sont au pluriel et les masculins au
singulier.
Ainsi
le mot « bonheur » exprimait-il pour moi une lourdeur morale et
institutionnelle à laquelle je préférais la légèreté frivole des mots
« joies, tendresses, folies, liesses, exaltations, et, bien
sûr, amours, surtout quand elles sont belles»
Je
décidai alors de n’employer dorénavant dans mes prochains écrits que des mots
féminins, si possible au pluriel, et de m’habituer progressivement à leur usage
exclusif dans mes futures conversations.
C’est
dans ces conditions que je me présentai au fameux rendez-vous que mon éditeur,
ironie du sort, avait sollicité pour entériner les dernières corrections du
manuscrit d’un petit ouvrage sur « Le bonheur » que celui-ci m’avait
commandé quelques mois auparavant.
Telle
ne fut pas sa surprise quand je lui annonçai que je souhaitais changer la
couverture et ainsi remplacer « Au bonheur du jour » par « Aux
belles heures de nuit »
Il
devint extrêmement perplexe quand je lui
demandai également de bien vouloir me laisser reprendre et corriger mon
écriture afin de supprimer toutes les expressions masculines et les remplacer
par des féminines.
-
Mais
c’est un changement complet de votre ouvrage !
-
Vous
voulez dire : quelques modifications sensibles de ma narration ?
-
Si vous
voulez ! mais vous allez peut-être en changer le sens ?
-
Disons
plutôt, l’enrichir de nouvelles sensations, sensibilité, sensualités et toutes
ces sortes de choses qui, je vous l’assure, changent la vie.
-
C’est
très gentil tout ça, mais ces corrections vont vous prendre combien de
jours ?
-
Vous
voulez dire combien de nuits ? car c’est au cours de celles-ci que tout
devient simplement et miraculeusement féminin. Rassurez vous, une seule et
belle nuit me suffira. Vous aurez mes feuilles manuscrites corrigées dès
l’ouverture de votre Maison, à la première heure.
-
Ah la
bonne heure !
-
Vous
voyez, vous aussi, vous ne parlez déjà plus de bonheur, ce mot que nous allons
rayer définitivement, vous et moi, de nos conversations futures.
-
Et bien,
bonne nuit.
-
Bonne
nuit, ma chère amie.
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