NOS
IVRESSES A L’ENVERS
Dans nos dérives
nantaises, nous avions pris l’habitude de suivre nos pistes à l’envers. Ceci
après avoir pris conscience que les avatars de comblements du fleuve
avaient, en quelque sorte, inversé la perception et le fonctionnement naturel
de la ville. Ce qui était pour tout
le monde une originale fantaisie de joyeux désœuvrés correspondait pour nous à une véritable
démarche militante au service d’une imprégnation patrimoniale de la cité. Faire tout à rebrousse
poils ou à rebrousse chemin était devenu une sorte de jeu de provocation des
pratiques et des usages communs. Initiés et encouragés
par d’éminents écrivains dont le plus emblématique fut Antoine Blondin, nous
traînions nos « Humeurs vagabondes » le long des quais qui nous
poussaient parfois à jouer les « Singes en hiver » sur les plages
désertes et ventées de Pornic. Nous allions en bord de mer en hiver et prenions
nos bains de soleil aux terrasses désertes des cafés de la ville en été. Ces jeux de jeunesse qui
en soi nous comblaient parfaitement réservèrent très vite quelques aventures
inespérées. Peut-être bénis des Saints du paradis surréaliste, que notre
démarche attendrissait, nous avons très vite compris que notre culture de la
chose à l’envers devenait source d’événements et de rencontres auxquels
échappaient ceux qui allaient « dans le bon sens »
André Breton nous avait accordé sa grâce
divine, en nous soufflant cette phrase
initiatique et aujourd’hui souvent galvaudée: « Nantes : peut-être avec Paris la
seule ville de France où j’ai l’impression que peut m’arriver quelque chose qui
en vaut la peine, où certains regards brûlent pour eux-mêmes de trop de feux
(je l’ai constaté encore l’année dernière, le temps de traverser Nantes en
automobile et de voir cette femme, une ouvrière, je crois, qu’accompagnait un
homme, et qui a levé les yeux : j’aurais dû m’arrêter), … »
Qui était cet homme accompagnant l’ouvrière ? Et puis, qui était cette femme du « Musée
noir » croisée et suivie par André Pieyre de Mandiargues dans le Passage
Pommeraye et dans quelle demeure du quai de la Fosse pénétra-t-il à sa
suite ? Qui était le roi Bacco ?
Nous nous sommes arrêtés souvent devant des portes
ouvertes qui allaient fermer ou devant un regard brûlant qui allait s’éteindre.
Nous passions des heures inutiles à écouter les mots dérisoires d’une barmaid
endormie. C’est en reprenant la piste de ces interrogations
que nous avons inauguré, un soir, une dérive « à l’envers » du quai
de la Fosse en fixant son point de départ là où jusqu’alors et quand tout se passait bien, nous
l’achevions. Venant de la mer, les navires, les marins, les
voyageurs, depuis des siècles découvraient la ville de Nantes en remontant la
Loire par l’ouest pour y pénétrer et accoster, le long des quais, au cœur de la
cité. Puis, progressivement, tournant le dos à son
fleuve, évolution symbolisée par la volte-face de l’emblématique Palais de la
Bourse, celle-ci institua progressivement de modernes pratiques urbaines que
nos divagations nocturnes s’acharnèrent à mépriser.
Il existe quelque-part à Nantes
Un noir chemin long de dix pas
Où des humeurs incandescentes
Roulent des vagues sous mes pas.
S’il fut un temps une autre rive
C’est un endroit fait de jets d’eau
Où Breton dit que tout arrive
Et de néons d’Eldorado.
Le dérisoire des éphémères
Traçait ma ville vers le quai
La Loire m’était une étrangère
Le vent d’estuaire me manquait
Et puis de bordées en largesses
Au dernier bistrot du matin
Tout à l’envers de mes ivresses
Je redessinai mon chemin.
A la marée des grands navires
J’ai fait le voyage à l’endroit
La belle Hôtesse au nom Elvire
Servait à boire au même endroit.
Que veux-tu, Jean-François de Nantes
La Loire est là sous les pavés
Dansent les mâts de la fringante
Dans
le reflet des rues mouillées.
Photo: Emmanuel Bazin