Hélène, Jean-François et Nantes au cœur
Un piano,
deux voix, la mémoire des lieux…Avec leur nouvel album, Hélène et Jean-François
dessinent en chanson un portrait de ville aimée, aimante, mélancolique et
douce.
Il y a un vrai souci avec
Hélène et Jean-François. La longévité. Entendons-nous bien, pas question ici de
s’immiscer dans leur vie privée pour faire état du temps qui passe, du poids
des ans et la chronique intime de deux amants. Non ! Si de longévité il
est question, c’est parce qu’ils durent en chanson.
Prononcez leurs deux prénoms, un soir pour
voir. Et vous aurez droit au couplet connu, entonné par les chalands qui
passent l’été sur les quais à l’heure des Rendez-vous de l’Erdre. La péniche
Lola, quai Henri Barbusse, les tricots marins, un hélicon parfois, l’accordéon
toujours et un répertoire qui ne rime vraiment pas avec la programmation
jazz-électro du moment.
Quand la chanson à texte avait pignon sur
l’eau
Poursuivez un peu, en
traînant vos guêtres cette fois dans les rues sombres, étroites ou mal pavées
ou dans les bistrots qui ont encore un peu de mémoire, comme la Perle, rue du
Port au vin.
Prenez un verre puis deux, puis trois. Et à
coup sûr, vous referez le chemin avec des habitués qui vous diront dans un
instant d’ébriété mélancolique, le temps du Bateau lavoir, quand sur l’Erdre,
la chanson à texte avait pignon sur l’eau…
Quand Jean Vasca, Colette Magny, Mélocoton, Bertin, Yvan Dautin, Boulevard des Batignoles….Et pourquoi
pas Charles Dumont qui reprendrait pour une énième fois, crooner fatigué, au
piano : Une chanson/C’est trois fois rien une chanson/ C’est du champagne
un frisson/A quoi ça sert une chanson/Ça dure à peine une saison.
Remontez ensuite la Loire jusqu’au
Pont-de-Cé, histoire de changer d’air, et vous croiserez à chaque levée des
riverains qui vous assureront les avoir vus passer en gabare ou en radeau avec
un chapiteau au printemps et toute une bande de musiciens ou de copains…
Tant et si bien qu’il est de bon ton de se
lasser, de glisser d’un air désabusé qu’on connait la chanson, la petite blonde
et l’ours à l’accordéon, la gouaille, Jolie môme et tout le tin-toin.
Un premier 45 tours en 1972
Les faits sont là,
encombrants comme le temps qui passe. Mais si d’aventure vous ntrouvez, place
Viarme, ici, ailleurs ou quelque part, leur premier vinyle, un quarante-cinq
tours de 1972, laissez-vous aller à la mélancolie d’Orlan, Fanny de Laninon, La
complainte de Jean Quémeneur d’Henri Ansquer… et arpentez les plages et les
sillons qui vous conduiront à Saint-Nazaire
ou sur les marches de bois du passage Pommeraye avec La Chanson de Lola
Quarante ans et des poussières après leur
premier enregistrement, voici donc Hélène et Jean-François qui reviennent et
refont le même chemin. Pas celui qui les a menés d’un cabaret à l’autre, mais
celui qui jalonne leur vie en chanson et leur vie à Nantes. Avec un piano pour
témoin et Frédéric Renaudin qui prend la mesure, discret, élégant, subtil…Ils
alignent sur fonds lilas seize titres qui finissent par dire La Loire est toujours là.
Mais, ce n’est pas pour la banalité de ce
constat qu’il faut écouter A Nantes,
ce dernier album. C’est pour écouter battre le pouls de leur ville. A leur
manière, leur duo illustre les mots de Julien Gracq qu’on n’en finit plus de
citer : « La forme d’une ville
change plus vite, hélas, que le cœur d’un mortel. »
Eux, ils ont gardé au cœur une ville qui
n’existe plus. Une ville peuplée de fantômes, du temps de l’Ancienne poste, rue
du Couëdic, là où coule une fontaine maintenant. Ou encore le long des quais à
ferraille, au coin des entrepôts, des poulets grillés portugais du
Saint-Domingue, des bars d’écluse où on éclusait, de la Crêperie jaune et des
pavés nantais…Bref du temps des ombres.
Interrogé il y a peu de temps sur cette
mélancolie et cette ville évanouie, Jean-François disait au téléphone : « Sur ce dernier disque qui reprend
trente ans de notre histoire, une chanson répond à cela. C’est Parfum de ville. J’y parle des parfums d’enfance, le sucre, les gâteaux , le
mer…Dans un dernier couplet j’écris : Nos villes sont éprises/D’une folle jouvence/En oubliant les traces/Des
chemins d’écoliers/La mienne n’est plus grise/Mais où est mon enfance/Dans ce
vent qui efface/Nos parfums oubliés.
Yves
Aumont – Ouest-France 10 06 2012