A NANTES
suite et fin
Puis
nous avons changé de quartier. Mes activités d’architecte se passeraient
dorénavant sur l’Erdre, dans l’antre flottant d’une ancienne librairie maritime
et fluviale : « Au chaland qui passe ». La chanson nous
poursuivait ! Conquis par cette façon « d’être dans la ville »
l’architecte se mit à réfléchir à un
autre projet bien à lui. Le premier chaland remonta un peu plus haut sur le
cours de l’Erdre pour une autre destinée et fut remplacé par celui qui
dorénavant s’appellerait « Lola » Par les fenêtres, je voyais passer, la nuit
sous la pluie, de l’autre côté de l’Erdre, le ruban du tramway qui avalait ou
répandait sur les gradins de ce « Quai des
fantômes » (14) une jeunesse turbulente et joyeuse. Ces
«nouvelles rivières» de voyageurs irriguent elles aussi la ville bâtie sur le
fleuve.
Les
embruns et le vent iodé nourrissaient notre besoin de mer et d’évasions
lointaines. Il suffisait alors d’un horizon d’estuaire, de bars de « La
marine » échoués avant d’atteindre l’océan et du dessin d’un verre de
Muscadet tenu avec élégance « Dans ses
doigts » (8) d’amoureuse pour se noyer quelques heures dans
des littératures de bouts du monde.
Nos
souvenirs sont des grains de sable dans le lit des fleuves. Certains soirs
d’été, sur notre bateau échoué au bord d’une grève, la Loire ressemblait à un
fleuve africain. Mais c’est en fredonnant « L’air de Londonderry » près
du Sine Saloum Sénégalais, à l’ombre toute proche de l’ami disparu, que j’ai
recueilli dans mes doigts ce « Grain de
Pierre » (13) parmi les autres grains.
Des
êtres nous quittent et leur beauté grandit longtemps encore après leur départ
comme grandit longtemps l’ombre de ces marcheurs solitaires avant que le déclin
du jour ne les noie dans la mystérieuse beauté des ténèbres. Ainsi, « Julien marche dans l’île » (15)
Chaque
frisson de caresse du courant contre la rive nous rappelle ce long parcours du
fleuve et nous invite à imaginer la suite de son voyage. Chaque goutte d’eau,
sur son passage, est un mot parmi les milliers de mots d’un immense poème
inachevé. Ainsi vont les palpitations de nos souvenirs au rythme de chacune de
ces gouttes venues de si loin pour se perdre, comme des rêves trop lourds, au-delà
des estuaires. Mais depuis la nuit des temps et pour l’éternité « La Loire est toujours là » (16)
On trouve notre dernier cd à la Fnac Nantes ou à Paridis Nantes ou sur notre péniche Lola
Jean-François
Salmon