vendredi 14 novembre 2014


NOS IVRESSES A L’ENVERS 

Dans nos dérives nantaises, nous avions pris l’habitude de suivre nos pistes à l’envers. Ceci après avoir pris conscience  que les avatars de comblements du fleuve avaient, en quelque sorte, inversé la perception et le fonctionnement naturel de la ville. Ce qui était pour tout le monde une originale fantaisie de joyeux désœuvrés  correspondait pour nous à une véritable démarche militante au service d’une imprégnation patrimoniale de la cité. Faire tout à rebrousse poils ou à rebrousse chemin était devenu une sorte de jeu de provocation des pratiques et des usages communs. Initiés et encouragés par d’éminents écrivains dont le plus emblématique fut Antoine Blondin, nous traînions nos « Humeurs vagabondes » le long des quais qui nous poussaient parfois à jouer les « Singes en hiver » sur les plages désertes et ventées de Pornic. Nous allions en bord de mer en hiver et prenions nos bains de soleil aux terrasses désertes des cafés de la ville en été. Ces jeux de jeunesse qui en soi nous comblaient parfaitement réservèrent très vite quelques aventures inespérées. Peut-être bénis des Saints du paradis surréaliste, que notre démarche attendrissait, nous avons très vite compris que notre culture de la chose à l’envers devenait source d’événements et de rencontres auxquels échappaient ceux qui allaient « dans le bon sens »
André Breton nous avait accordé sa grâce divine,  en nous soufflant cette phrase initiatique et aujourd’hui souvent galvaudée: « Nantes : peut-être avec Paris la seule ville de France où j’ai l’impression que peut m’arriver quelque chose qui en vaut la peine, où certains regards brûlent pour eux-mêmes de trop de feux (je l’ai constaté encore l’année dernière, le temps de traverser Nantes en automobile et de voir cette femme, une ouvrière, je crois, qu’accompagnait un homme, et qui a levé les yeux : j’aurais dû m’arrêter), … »
Qui était cet homme accompagnant l’ouvrière ? Et puis, qui était cette femme du « Musée noir » croisée et suivie par André Pieyre de Mandiargues dans le Passage Pommeraye et dans quelle demeure du quai de la Fosse pénétra-t-il à sa suite ? Qui était le roi Bacco ?  
Nous nous sommes arrêtés souvent devant des portes ouvertes qui allaient fermer ou devant un regard brûlant qui allait s’éteindre. Nous passions des heures inutiles à écouter les mots dérisoires d’une barmaid endormie. C’est en reprenant la piste de ces interrogations que nous avons inauguré, un soir, une dérive « à l’envers » du quai de la Fosse en fixant son point de départ là où jusqu’alors  et quand tout se passait bien, nous l’achevions. Venant de la mer, les navires, les marins, les voyageurs, depuis des siècles découvraient la ville de Nantes en remontant la Loire par l’ouest pour y pénétrer et accoster, le long des quais, au cœur de la cité. Puis, progressivement, tournant le dos à son fleuve, évolution symbolisée par la volte-face de l’emblématique Palais de la Bourse, celle-ci institua progressivement de modernes pratiques urbaines que nos divagations nocturnes s’acharnèrent à mépriser. 

   Il existe quelque-part à Nantes
   Un noir chemin long de dix pas
   Où des humeurs incandescentes
   Roulent des vagues sous mes pas. 

   S’il fut un temps une autre rive
   C’est un endroit fait de jets d’eau
   Où Breton dit que tout arrive
   Et de néons d’Eldorado. 

   Le dérisoire des éphémères
   Traçait ma ville vers le quai
   La Loire m’était une étrangère
   Le vent d’estuaire me manquait 

   Et puis de bordées en largesses
   Au dernier bistrot du matin
   Tout à l’envers de mes ivresses
   Je redessinai mon chemin. 

   A la marée des grands navires
   J’ai fait le voyage à l’endroit
   La belle Hôtesse au nom Elvire
   Servait à boire au même endroit. 

   Que veux-tu, Jean-François de Nantes
   La Loire est là sous les pavés
   Dansent les mâts de la fringante
   Dans le reflet des rues mouillées.
 
 
   Photo: Emmanuel Bazin
 
 

 

jeudi 13 novembre 2014



MAIS QU’EST-CE QUE TU PEUX BIEN FOUTRE ?

16 juin, 1er septembre, 10 septembre, et nous voilà au 13 novembre !

Entre ces dates ? Rien ! Et alors ?
Jardin, pêche à la ligne, bain, vélo, bistrot, dodo, toutes ces choses qui laissent la page blanche quand d’autres en feraient des romans. Une page blanche où se posera peut-être une chansonnette, à son heure et au détour d’un rien. Un blog pour un luxe : Ces larges tranches de rien !
J’ai exercé, jadis, un de ces métiers qui vous obligent à vaincre la page blanche : penser, écrire, dessiner, projeter, créer, quoi ! Et puis, plus tard, insidieusement, s’infiltre en vous les prémices d’une subtile tendresse pour cette page blanche, la séduction de sa virginité et de son silence. On s’éprend des temps inutiles, du danseur immobile, du tableau vide où rien n’est à voir et tout à regarder, du bruit des pas du marcheur muet, du monde invisible des eaux dormantes, de l’absence de l’être aimé. Alors reviennent ces vers:
 

J’aime les mots pour leur silence
Et les sculptures et les peintures
Pour les vides qu’elles procurent
Et la lumière pour son ombre
L’ample clarté d’une nuit sombre
Et la chaleur de tes absences 

J’aime l’éphémère aérien
D’un geste bref, cette seconde,
Juste échappé d’un autre monde
Pour suivre le creux d’une ride
De chaque plein, j’aime les vides
Et les temps morts vécus pour rien 

J’aime la surface de l’eau
Pour ses immenses profondeurs
Et la couleur pour son odeur
J’aime les marges et leur langage
Tout autour des mots d’une page
Et la nuit autour d’un halo 

Oui je t’aime pour tes absences
Qui dans ce vide redessinent
Une aile courbe de doucine
J’aime d’ici tous les ailleurs
L’éclat de pierre du tailleur
J’aime le bruit pour ses silences. 

Et demain, après –demain ? Circulez ! y'a presque rien à voir....